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29 décembre 2006 5 29 /12 /décembre /2006 12:12

Comme il est drôle, Albert Londres, vous a-t-on dit qu'il était marrant comme personne ? La Chine en folie porte bien son titre, enlevé sur une poignée de pages nerveuses. Londres (quel nom!) n'a pas le temps de s'arrêter, de réfléchir, de s'intéresser vraiment à la Chine. Il est dans un univers sens dessus dessous, dans lequel il jouit d'une atmosphère d'anarchie qui lui va comme un gant. La Chine des années vingt, c'était, à l'en croire, un sacré merdier. Il questionne et enquête sans relâche pour savoir qui gouverne le pays, si la Chine est un empire ou une république. Il n'aura pas de réponse claire. (Non, mauvaises langues, je ne sous-entends pas que ce temps bordélique était préférable à l'ordre actuel!)

Il y a un chapitre où le reporter est tellement dépassé par les us et coutumes de ce pays sans direction qu'il n'a plus d'autre choix que de rigoler nerveusement. "Je n'ai jamais tant ri que depuis que je suis pékinois. Je me réveille pour rire ; à table, je m'étrangle parce que je ris ; et, le soir, on a une peine inouïe à s'endormir, tant on rit toujours. Il y a du haschish dans l'air."

Il rit en s'en faire péter la rate, et il nous présente des personnages et des événements qui paraissent sortis d'un film des Marx Brothers. Il affectionne, en particulier, le général Gaute, dont il fait ce portrait saisissant : "Il vint de sa Scandinavie, voilà peu d'années, dans le bon Empire du Milieu, comme vendeur de poils de cochon surfins. Il avait pensé qu'une aussi délicate marchandise serait recherchée des mandarins pour des usages que lui-même n'entrevoyait pas encore très bien. N'ayant pas fait fortune, il se fit général. Depuis, ça va."

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28 décembre 2006 4 28 /12 /décembre /2006 11:27

Gloria in excelsis deo! Me voilà enfin l'heureux propriétaire du roman des romans, le classique d'entre tous les classiques narratifs : Le rêve dans le pavillon rouge, de Cao Xueqin. C'est un de ces gros romans, écrit au dix-huitième siècle, considéré en Chine comme le plus grand de tous, mais qui n'est traduit en français que dans l'édition de la pléiade. En deux volumes! Cela fait beaucoup de pages à lire, un peu plus de trois mille, et beaucoup d'argent à dépenser, autour de cent euros. Longtemps j'ai hésité à l'acheter, pensant que je pourrais trouver un moyen de le lire dans une bibliothèque, ou qu'une âme charitable pourrait me le prêter. Puis une autre âme charitable me l'offrit à noël. Gloire à lui, le dépositaire de cette âme généreuse, gloire à lui au plus haut des cieux!

Je ne me suis pas jeté sur ces volumes, au contraire. Je les ai posés sur une étagère près de mon lit et je les contemple de loin, avec un frisson sacré, et je m'endors sous leur protection. C'est d'un fétichisme un peu bêta, mais c'est le lot des lecteurs, leur faiblesse, leur névrose. Ils voient dans les livres plus qu'il n'y a. 

J’attends l’instant propice avant de m’y plonger, comme un voyageur qui s’installe dans une maison près d’un lac. Le voyageur préfère retarder un peu le moment où il ira au bord de l’eau, où il se baignera. Une joie remplit son cœur à l’idée seule que ce lac est là, disponible, indifférent, ouvert à tous mais visité par peu de gens. Le voyageur sait qu’il passera de nombreuses heures à en contempler la beauté ; il sait qu’il s’ennuiera parfois mais il a assez de connaissances sur lui-même et sur les lacs pour être intimement persuadé qu’il s’offre là une aventure inoubliable.

 

 

 

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10 décembre 2006 7 10 /12 /décembre /2006 05:03

J’étais arrivé, heureusement, très en retard, et je m’assis au milieu de l’exposé de la responsable des visas et de plein d’autres choses au consulat.

Elle parlait de toutes les procédures qu’un Chinois doit suivre pour aller étudier en France. C’est une caricature, un doux rêve de bureaucrate, du Kafka pour débutant. Les tests de français sont variés, ils diffèrent en ceci et en cela, sans que la raison en soit claire, ils sont notés différemment dans le plus grand manque de transparence, sur 900 pour l’un d’eux, sur 799 pour un autre. Le parcours du combattant, pour le Chinois désireux de venir en France, commence très tôt et semble n’avoir pas de fin car la bureaucratie française ne les lâche jamais tout à fait. Moi, si j’étais chinois et que je m’intéressais à la culture du pays de la Révolution, des droits de l’homme et de la Nouvelle vague, je crois que j’aurais depuis longtemps baissé les bras.

C’est peut-être ce que cherche la France, dissuader les gens de venir, et offrir des ponts d’or aux étudiants considérés comme brillants, sélectionnés dans les universités prestigieuses.  

J’écoutais la jeune femme qui débitait les choses à savoir et c’était effroyable. Elle était compétente, c’est certain, mais je ne pouvais plus écouter, je me sentais étouffer. Elle parlait sans lire ses notes, elle connaissait sur le bout des doigts toutes les clauses, les chemins à suivre, les conditions d’admission, les recours, les sigles et les acronymes, et l’envie me pris de hurler ou de m’enfuir en courant. Me revint à la gorge le sentiment qui m’étreignait, au collège, d’être enfermé dans un lieu hostile et contre-nature. Adolescent, je regardais par la fenêtre le ciel et les arbres sur la colline, et me disais que la vie qu’on nous proposait n’était pas humaine. Si j’avais été moins bien entouré, à l’époque, et si j’avais été plus courageux, j’aurais fait de longues fugues, comme Rimbaud, et je n’aurais jamais fait d’études.

J’écoutais la responsable et je m’aperçus qu’elle ne parlait pas le français. La bureaucratie avait remodelé la langue et l’avait transformée en un code administratif sans vie, sans inspiration, sans idée. Le langage de l’administration est un énoncé mécanique de tel ou tel enchaînement causal, c’est une suite d’engrenages linguistiques qui n’a que faire du locuteur : l’administration parle toute seule, sans autre but que la perpétuation automatique de sa logorrhée horizontale. Etant incontournable, elle s’impose à nous et semble s’être installée durablement dans la conscience de cette pauvre responsable des visas. Elle parle et il faudrait lui dire qu’elle se fourvoie, que ces mots sont loin d’elle, de sa conscience et de ses rêves.

Et les Chinois, là-dedans, pauvres Chinois, qui doivent se modeler et obtempérer aux injonctions de leur propre administration, puis de la française : ceux qui y parviennent et ont malgré tout cela l’impression d’être heureux en France sont des héros.

 

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4 décembre 2006 1 04 /12 /décembre /2006 04:45

On peut lire dans le Courrier International que la littérature française « a perdu son éclat international », et que le signe indéniable en est l’attribution de prix importants, cet automne, à un Américain (J. Littell), une Canadienne (N. Huston) et un Congolais (A. Mabanckou), des auteurs qui ont evidemment écrit leur livre en français. N’est-ce pas au contraire un signe de la bonne santé des lettres françaises ? De leur vivacité, de leur ouverture sur le monde ? Je ne connais pas d’autres pays où l’on traduise plus d’auteurs étrangers, à part peut-être la Suède, qui profite d’avoir les jurés du prix Nobel, pour lesquels on traduit tout ce qui a de l’importance (on ne parle jamais des traducteurs suédois, mais ils doivent représenter une proportion importante de la population… J’y pense, ils doivent avoir des facs de langues étrangères à foison, là-bas, c’est une idée, ça, pour y couler mes vieux jours…)

Mais surtout, je ne connais pas d’autres langues qui accueillent autant d’auteurs étrangers. J’en parlais avec mes étudiants en début d’année, lorsque nous évoquions la rentrée littéraire (phénomène français qui est la cible des sarcasmes de tous, mais qui a pour effet de faire connaître des livres au grand public, et, parfois, de les faire lire.) L’anglais, bien sûr, est écrit par des auteurs de pays très divers, mais c’est généralement leur langue natale (je pense aux Indiens, aux Pakistanais, aux Africains, aux Australiens), même s’il y a des exceptions (Martel, québécois, Ishiguro, japonais.) Mais je ne suis pas sûr qu’il y ait avec une autre langue ce phénomène d’attirance littéraire qui amène des Chinois, des Russes, des Tchèques et des Africains à choisir le français. On me dira, c’est normal, le français leur donne une plus grande lisibilité internationale. Ah bon ? Le français et sa misérable centaine de millions de locuteurs ? Pourquoi ne choisissent-ils pas l’anglais ? Ce serait plus cohérent. Au contraire, ce sont des locuteurs des pays anglophones qui viennent écrire en français (il y a presque une tradition, avec des monstres tels que Wilde, Henry Miller, Beckett, Julien Green.) C’est proprement extraordinaire, vu le poids minuscule du français dans le domaine commercial globalisé.

Chacun ses raisons, je ne peux pas parler au nom des autres, mais ça semble indiquer que le français représente encore quelque chose de spécial dans la littérature internationale. Pour ce qui est de l’éclat, à part les Etats-Unis dont le poids économique et politique propulse ses bons (et moins bons) auteurs dans les meilleures ventes mondiales, y a-t-il un autre pays qui mettent mieux en lumière la littérature ?

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27 octobre 2006 5 27 /10 /octobre /2006 12:04

Ma jeune amie écrit sur son blog que les romans français traduits en chinois sont un peu chiants. Elle pourrait les lire en français mais ça lui demanderait trop de travail. Elle dit qu’elle n’oublie jamais, dans le cours de la lecture, que c’est un texte étranger, ce qui n’est pas le cas des romans japonais, par exemple.

Y aurait-il une barrière infranchissable entre les grandes langues asiatiques et nous ? Vieille question.

C’est le contraire qui se passe quand je lis Lu Xun en français. Le style court toujours de source, quel qu’en soit le traducteur. Il n’y a pas de littérature plus universelle que celle de Lu Xun.

Aujourd’hui, n’importe où dans le monde, sans rien connaître de la Chine et des Chinois, on peut lire ses textes et être touché, comme pour Dostoïevski, Victor Hugo ou Kafka.

D’ailleurs, lorsque je l’ai découvert, avant de venir en Chine, je l’ai spontanément comparé à Kafka. Je me suis dit, un peu bêtement : c’est le Kafka chinois. En le connaissant mieux, je ne peux plus dire cela, beaucoup de choses les séparent, mais il y a bien quelques similitudes, entre eux : un même dépouillement du style, un dépouillement savant, capable d’être riche de virtualités sémantiques. Un même sens de l’absurdité des choses, dont découlent autant de drôlerie que d’accablement. Un sens aigu de la raillerie, accompagné d’une tendresse véritable. Une tendresse, une compassion, un amour des gens dont seuls les gens féroces sont capables.

Certains Chinois aiment prétendre que la langue et la culture chinoises sont impénétrables aux étrangers, ils aiment se voir comme incompréhensibles. Petite Biche m’avait dit un jour que je ne pourrais pas comprendre tel film, car les paysages, les musiques, tout avait un sens pour eux qui ne pouvait pas être ressentis par un étranger.

Lu Xun est le parfait contre exemple de cette prétention. En créant une littérature compréhensible par tout le peuple chinois, il a créé une littérature traduisible dans toutes les langues du monde.

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22 octobre 2006 7 22 /10 /octobre /2006 11:50

Je ne sais plus comment nous en sommes venus à parler de Gao Xingjian, avec deux étudiantes, l’autre jour. Une étudiante disait qu’elle avait aimé son discours de Suède, qu’il a prononcé lors de la remise de son prix Nobel, mais qu’elle le trouvait dérangeant. Elle citait quelqu’un, un écrivain, ancien camarade de classe de Gao, qui avait dit dans une conférence combien Gao était un homme mauvais, combien sa morale était répugnante, qu’il n’était pas bon, qu’il avait abandonné sa femme.


Elle m’a dit qu’il était interdit en Chine « parce qu’il manque de sentiment national. »


La montagne de l’âme
est le livre que je relis le plus depuis deux ans. Si j’ai de nombreuses réserves concernant Le livre d’un homme seul, j’ai toujours été sous le charme de La montagne de l’âme qui a imposé dans mon souvenir des images, des parcours, des moments littéraires qui ont magnifiquement passé la traduction des Dutrait.


Le régime actuel rejette Gao, le bannit, et les patriotes pensent de lui ce que les Polonais chauvins pensaient de Gombrowicz. Réflexe symptomatique des dirigeants et des bien pensants : « Cet écrivain dit du mal de notre pays, son style et sa morale dépravée salissent l’image de la nation, rejetons-le ! »

C’est aussi la réaction qu’avait la presse française  à l’égard de Sartre, ne l’oublions pas. Ou de Zola.


La Chine d’aujourd’hui me fait penser à l’Europe des années cinquante. Une économie qui croît rapidement, une société qui change vite et, en même temps, une vision des choses très étroites, naïves, fleur bleue. Des écrivains et des artistes, pas très nombreux, qui n’en peuvent plus et qui provoquent. Une mainmise du pouvoir sur les médias et un sentiment d’optimisme dans la jeunesse. De beaux sourires, de belles apparences et des corps chastes. Une morale conventionnelle très pesante et une liberté relative des mœurs. Un amour du kitsch et une détestation de la laideur, de la perversité et de la noirceur.


Bref, Gao n’est pas seulement interdit par un régime inique et borné ; c’est l’époque toute entière qui ne le supporte pas. Non pour ce qu’il dénonce politiquement, car justement, il tend vers une prose dépolitisée, mais par son absence de jugement moral, par la sexualité sans romantisme qu’il décrit, par son refus des histoires bien menées, par sa liberté formelle.


Je le relis ces temps-ci pour une conférence que je suis en train de préparer sur la littérature du voyage, et ce que me dit mon étudiante m’apparaît d’une clarté blafarde. C’est la littérature, ici et aujourd’hui, qui peut le plus déranger, changer les mentalités. Elle a encore ici le pouvoir de révolter, de dégoûter, de renverser des perspectives. Gao dit se désintéresser de la politique et de son pays, mais c’est peut-être dans son exil français, dans son silence égoïste et arrogant qu’il va apporter à la Chine contemporaine, quand les jeunes comprendront qu’ils ont en sa personne, un héros des lettres comme ils n’en ont pas connu depuis Lu Xun.


C’est la beauté apolitique de la prose de Gao qui fait mal, en définitive. On veut des sentiments, des larmes, de l’émotion patriotique, et Gao propose des randonnées où l’on a mal aux pieds, des fuites, des trahisons, des réactions d’égoïsme sans complexe, une phrase solitaire, donc suspecte et presque menaçante pour l’ordre moral. C’est peut-être la littérature de Gao qui peut, sur le long terme, avoir la plus grande influence sur les esprits qui s’éveillent.

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21 octobre 2006 6 21 /10 /octobre /2006 11:41

Nous venons de passer la date anniversaire de la morte de Lu Xun et ça n’a ému personne. Il est mort le 19 octobre 1936, il y a soixante-dix ans.  Mais qui est Lu Xun ?

C’est tout simplement le plus grand écrivain chinois du vingtième siècle. Il est reconnu comme tel par les Chinois et par les étrangers, ce qui est assez exceptionnel pour le signaler. Sa postérité est, elle aussi, exceptionnelle. Bien que militant infatigable pour la liberté et les droits civiques (ou droits de l’homme), Mao l’a toujours pris pour porte-parole de son action, si bien qu’il est aimé de tous, communistes et anti-communistes. De même, comme il luttait contre l’impérialisme des puissances étrangères et aussi contre les traditions iniques du système féodal, il est apprécié par les nationalistes xénophobes comme par les modernistes ouverts sur l’étranger.

Deux ou trois choses sur Lu Xun. Le temps où il a vécu était extraordinairement agité. Entre 1881 et 1936, il a vu le fonctionnement du système impérial, il a vécu la fin de la dynastie des Qing, la république de 1911 et les bouleversements qui s’ensuivirent. C’était une époque affreusement compliquée, les luttes étaient intestines et jaillissaient de toutes parts, les esprits étaient en feu.

Le jeune Zhou Shuren, étudiant en sciences à Nankin, puis au Japon, prit la décision de devenir homme de lettres car il voulait changer l’esprit de ses compatriotes. « La première chose à faire, écrit-il dans sa préface au recueil Cris, était de changer les mentalités et comme j’estimais que la littérature était le meilleur moyen pour y parvenir, je décidai de créer un mouvement littéraire. » C’est un autre monde, vraiment. Il prend un nom de plume, Lu Xun, et se lance dans la littérature par choix rationnel. Il est un des premiers auteurs à utiliser la langue parlée, comprise de tous. Mais comme sa culture est classique et qu’il est d’une complexion intellectuelle supérieure, il a développé un style magnifique, puissant et sombre, simple et nerveux, poignant. 

Certes, ses écrits ressortissent à une littérature de combat ; ses nouvelles ont souvent un sens politique à peine caché sous des symboles évidents. Mais ils sont bien plus que cela ; même sans connaître l’histoire de Chine, ses histoires, ses récits, ses souvenirs, ses poèmes en prose sont un délice de lecture. Ses personnages sont vrais, ils débordent de beaucoup l’idée ou le symbole qu’ils sont censés incarner. 

C’est la postérité de Lu Xun, le débordement. Ses textes sont plus gros que les combats qu’ils menaient et que les idées qu’ils charriaient. Sa révolte est d’actualité, en Chine et ailleurs. Qu’on s’en serve encore !

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11 octobre 2006 3 11 /10 /octobre /2006 07:03

Il y a deux types d’hommes, dans la vie. Ceux qui laissent les livres tranquilles, et ceux qui écrivent dans les livres, qui soulignent, qui entourent, qui mettent des signes et qui mettent des phrases autour de celles de l’auteur. Parmi cette deuxième catégorie d’hommes, il y a encore deux types. Ceux qui écrivent sur leurs propres livres et laissent vierges les livres des autres, et ceux qui gribouillent sur tous les livres qui passent entre leurs mains, que ce soit les leurs ou ceux d’autrui. Je viens de prendre une édition confortable, aérée, d’un des volumes de Montaigne et, que vois-je ? Du crayon de partout. Des caractères chinois, des mots soulignés et des commentaires en plusieurs langues. Quelqu’un est passé par là et a tenu à ce que ça se sache. Mais pourquoi grands Dieux ? Pourquoi avoir fait ça ? C’est une question que je me pose sincèrement. Mon premier sentiment est la colère. Je prends ça pour un acte de terrorisme : quelqu’un refuse de me laisser lire à ma guise, comme s’il sifflotait sur un disque de Mozart. Ma deuxième réaction est la tristesse, la détresse, je laisse le livre et le repose, vaincu par un inconnu qui ne pouvait pas me vouloir de mal. Mon troisième mouvement est d’essayer de comprendre.

Il serait facile de prendre les premières interprétations qui viennent à l’esprit, et qui sont souvent les plus basses : ces gens sont sales, ils crottent tout sur leur passage ; ou bien ils sont égoïstes, ils ne respectent pas la propriété d’autrui (ça c’est un fait, ce n’est pas une interprétation, mais passons) ; ou alors ce sont d’effroyables mégalomaniaques qui tiennent à ce que le monde entier sache qu’ils ont lu tel livre ; à moins que ce ne soit des gens qui méprisent le livre et la lecture… Tout cela ne tient pas, on sent dans ce phénomène d’écriture un amour très grand, au contraire, des livres et de la lecture. Trop grand peut-être.

Car dans cette catégorie d’hommes, le voyageur peut encore subdiviser. Il y a ceux qui n’écrivent que pour des raisons pratiques, pour traduire des mots, ou pour repérer des passages qu’ils jugent utiles à leurs recherches ; et il y a ceux qui écrivent pour s’exprimer, pour ajouter du texte au texte. Ceux-là sont les plus dérangeants, mais aussi les plus fascinants. Après avoir ravalé ma colère et surmonté ma tristesse, après m’être assuré que je ne comprenais rien, la présence de ce lecteur de Montaigne est devenue plus palpable, et j’ai cru voir en ce fantôme quelqu’un qui voulait entrer en communication. Avec qui, je ne sais pas, peut-être avec Montaigne, peut-être avec la communauté des lecteurs.

Les souillards de livres ne sont donc pas des gens malpropres, qu’on ne s’y trompe pas, ni de simples égoïstes ni des indifférents. Ils font quelque chose d’important, c’est certain, quelque chose qui a du sens pour eux et qui n’en a aucun pour moi. Mais qui sont-ils ? Lecteur, si tu écris dans les livres, dis-moi pourquoi ?

 

 

 

 

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8 octobre 2006 7 08 /10 /octobre /2006 10:05

Il y a des phrases que vous entendrez souvent en Chine, car il semble que tout le monde les dise. Elles sont comme des vérités qu’il est impossible de remettre de question.

En voici un florilège. J’ai entendu ces énoncés au moins trois fois.

 

 

 

Les Français sont romantiques

L’Autriche est le pays de la musique

Le train est plus sûr que le car

La province du Xinjiang est célèbre pour ses jolies filles et ses fruits

Les Français n’aiment pas travailler, ils préfèrent profiter de la vie

Hangzhou est un paradis sur terre

Suzhou est un paradis sur terre (en vertu d’une phrase d’un ancien poète devenue proverbiale – donc vraie – qui dit : « Au ciel il y a le paradis, sur la terre Hangzhou et Suzhou. » Mais curieusement, on ne sort cette phrase que pour Hangzhou, plus rarement pour Suzhou.)

Shanghai est adaptée à la vie des occidentaux

Les étrangers préfèrent Shanghai aux autres villes chinoises

Le lac des nuages pourpres est dangereux

La Chine est un pays amical

La Chine n’a jamais envahi un territoire qui n’était pas le sien

Les minorités ethniques (Tibétains, Ouighours etc.) sont des peuples frères

 

 

 

Je place exprès des phrases au contenu politique au même niveau d’autres sans aucun contenu politique. On pense aisément que la propagande du régime en place a favorisé les premières, mais les deuxièmes sont dites avec la même sincérité, la même candeur et sur le même ton.

Sincèrement, je ne sais pas si nous ne sommes pas pareils qu’eux ; je ne sais pas si cette façon de penser, collective et proverbiale, est proprement chinoise ; je ne sais pas si elle est la conséquence d’une politique totalitaire, ou si elle en est la cause, ou si les deux n’ont aucun rapport ; je ne sais pas si cela vient de leur éducation qui, traditionnellement, consiste à répéter et à mémoriser ; je ne sais pas si de tels lieux communs aident la pensée en fonctionnant comme des bornes, des piliers sur lesquels s’adosser, ou s’ils entravent la pensée individuelle. Bref, je ne sais pas grand-chose, et je n’ai aucune phrase toute faite à laquelle me raccrocher. 
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20 septembre 2006 3 20 /09 /septembre /2006 12:44

Dans son histoire du moyen âge, La société féodale, dont j’ai trouvé un exemplaire datant des années soixante à la bibliothèque de l’Institut, Marc Bloch a une manière de décrire des événements qui fait penser à la littérature classique chinoise.

Au bord de l’eau, par exemple, est un roman connu de tous, ici, il est étudié, repris et adapté sous forme de bd, de séries télé, etc. Il raconte les épiques aventures d’une flopée de hors-la-loi (plus de cent personnages, dont les histoires se recouvrent, se croisent, s’empiètent et se répètent  parfois), de brigands magnifiques qui fuient la société officielle pour en inventer une autre, alternative, dans les montagnes, et procèdent à maint pillages, méfaits, conflits infinis. Ils redressent des torts, ils tuent, ils singent les religieux, ils baisent, ils boivent et ils meurent. On les appelle « les gens des lacs et des rivières ».Un roman qu’il faut conseiller à ceux qui ne voient la culture chinoise que comme une sagesse confucianiste dégradée, respectueuse des rites et d’un conformisme mortel.

Or que lis-je, à propos des Sarrasins et de leur incursion en Europe ?

« A une date que l’on ne saurait préciser, probablement vers 890, une petite nef sarrasine, qui venait d’Espagne, fut jetée par les vents sur la côte provençale, aux abords du bourg actuel de Saint-Tropez. Ses occupants se terrèrent, tant que le jour dura, puis, la nuit venue, massacrèrent les habitants d’un village voisin. Montagneux et boisé… nos gens s’y fortifièrent sur une hauteur, au milieu des fourrés d’épines, et appelèrent à eux des camarades. Ainsi se créa le plus dangereux des nids de brigands…

 

Dans tout le voisinage du littoral, les campagnes furent abominablement dévastées. Les pillards faisaient en outre de nombreux captifs, qu’ils vendaient sur les marchés espagnols. »

 

Suit une liste d’exactions dans les Alpes, comprenant des monastères mis à sac, des pèlerins caillassés, des enlèvements d’Abbés illustres. Les aventures des ces gens des lacs et des rivières durèrent un siècle et plus. De quoi en faire des romans épiques, que diantre.

 

 

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