Gloria in excelsis deo! Me voilà enfin l'heureux propriétaire du roman des romans, le classique d'entre tous les classiques narratifs : Le rêve dans le pavillon rouge, de Cao Xueqin. C'est un de ces gros romans, écrit au dix-huitième siècle, considéré en Chine comme le plus grand de tous, mais qui n'est traduit en français que dans l'édition de la pléiade. En deux volumes! Cela fait beaucoup de pages à lire, un peu plus de trois mille, et beaucoup d'argent à dépenser, autour de cent euros. Longtemps j'ai hésité à l'acheter, pensant que je pourrais trouver un moyen de le lire dans une bibliothèque, ou qu'une âme charitable pourrait me le prêter. Puis une autre âme charitable me l'offrit à noël. Gloire à lui, le dépositaire de cette âme généreuse, gloire à lui au plus haut des cieux!
Je ne me suis pas jeté sur ces volumes, au contraire. Je les ai posés sur une étagère près de mon lit et je les contemple de loin, avec un frisson sacré, et je m'endors sous leur protection. C'est d'un fétichisme un peu bêta, mais c'est le lot des lecteurs, leur faiblesse, leur névrose. Ils voient dans les livres plus qu'il n'y a.
J’attends l’instant propice avant de m’y plonger, comme un voyageur qui s’installe dans une maison près d’un lac. Le voyageur préfère retarder un peu le moment où il ira au bord de l’eau, où il se baignera. Une joie remplit son cœur à l’idée seule que ce lac est là, disponible, indifférent, ouvert à tous mais visité par peu de gens. Le voyageur sait qu’il passera de nombreuses heures à en contempler la beauté ; il sait qu’il s’ennuiera parfois mais il a assez de connaissances sur lui-même et sur les lacs pour être intimement persuadé qu’il s’offre là une aventure inoubliable.