Rien de tel que les photos d'art pour se rincer l'oeil.
Les photos de Bettina Rheims sur Shanghai redonnent à la métropole son lustre, et son cachet sulfureux des années 30.
Chines
Rien de tel que les photos d'art pour se rincer l'oeil.
Les photos de Bettina Rheims sur Shanghai redonnent à la métropole son lustre, et son cachet sulfureux des années 30.
On peut voir, sur lemonde.fr, un webdocumentaire sur les mines chinoises.
Voyage au coeur du charbon, de Samuel Bollendorff et Abel Ségrétin.
Un concept que je trouve sensass. Je dis sensass, mais je pourrais dire impek, ou hyper bath. Je pourrais dire que c'est trop de la balle, que c'est top délire et que c'est grave mortel.
Parce que le concept du webdocumentaire, c'est étonnamment moderne et étonnamment suranné en même temps. On clique, et on voit apparaître des photos, accompagnée d'une bande-son, ou de textes. C'est une forme de roman photo à la sauce cybernétique. Cela a des airs paradoxaux, mais c'est le propre du web : retour à l'écriture, fin des téléphonages, auto-publication et essais personnels, comme à l'époque de Montaigne.
Alos les mines chinoises. Sans surprise, on voit de la misère. Mais, et moi c'est ce que je veux faire passer, on voit aussi beaucoup de joie. Des gens qui chantent et dansent pour répéter les chants de noël, des gens qui gagnent un peu moins de 1000 yuans par mois, mais qui vivent dans des bidonvilles, donc ils économisent (je joue au con), des vieilles qui se chauffent gratuitement en ramassant le charbon qui sort des usines.
Non, bien sûr, c'est la misère noire. On le savait, grâce notamment au blog de Cai Chongguo. Le scandale des mines trop dangereuses mais exploitées quand même car, on peut retourner le problème dans tous les sens, l'économie chinoise en a besoin.
Un effet comique : à chaque étape, les journalistes sont conduit vers un responsable, et c'est toujours la même photo qui revient, celle d'un officiel qui leur dit : "Nous sommes touchés que vous vous intéressiez à ceci et à cela, mais vous feriez mieux de retourner à Pékin pour votre sécurité." J'ai souvent entendu dire cela, en Chine. La sécurité est, bien entendu, en Chine comme partout, le mot magique qui permet de tout interdire ou de prendre toutes les décisions que l'on désire. A la fin du webdocumentaire (quel mot!), la même photo revient avec pour tout commentaire : On va vous accompagner à la gare de Datong et vous prendrez le premier train pour Pékin.
Mais surtout, on voit une chose évidente : on voit qu'on voit. On voit qu'on peut aller voir. C'est bien interdit, mais force est de reconnaître qu'avec de la pugnacité, on peut voir. Les journalistes vont à la rencontre des mineurs, ils vont même dans la mine, avec un guide interprète, un appareil photo, un appareil enregistreur...
C'eût été plus difficile il y a dix ans, c'eût été plus faisable il y a vingt ou vingt-cinq ans, mais c'eût été rigoureusement impossible avant les années 80. Alors, est-ce un signe de libéralisation des forces de l'ordre ? L'enquête a été menée en 2006. Serait-ce encore faisable aujourd'hui ? Peut-être que non, à cause de la curiosité grandissante des journaliste, depuis 2006 justement.
Cette photo a été prise par une étudiante chinoise, et il me semble bien qu'elle me donne l'air chinois. Mes yeux me paraissent bridés. Cerné d'eau, l'eau du Lac des Nuages Pourpres, je suis plus ondoyant que jamais.
Mon front dégarni rappelle les coupes de cheveux que les Mandchous de la dynastie Qing imposaient aux habitants de l'empire. Il ne manque plus que la queue de cheval.
Le doigt qui pointe dans une direction inconnue, et les yeux qui regardent un interlocuteur invisible, nous ramènent à l'anecdote qui dit : "Quand le sage montre la lune, l'imbécile regarde le doigt". Sauf que là, le sage, il ne montrait rien de bien élevé. Le corps docte, il semble au contraire lancer un défi, ou un pari idiot à quelque nageuse inexpérimentée.
En Chine, j'ai donné des leçons de natation à plusieurs personnes. Mais ce n'est pas cela seulement, qui m'attirait vers le lac. J'ai toujours considéré qu'un lieu de baignade naturel proche de son lieu de vie était une condition sine qua non du bonheur. Même à Lyon, je me baignais dans le Rhône, par acharnement. Cela m'a manqué à Shanghai, car je n'ai jamais osé plongé dans le Huangpu, ni dans la Suzhou he.
Regarder la télévision est devenu une chose trop pénible. Outre les images des morts, des décombres, outre les informations qui tournent autour de la catastrophe, le téléspectateur étranger ressent une gêne morale.
Les programmateurs s'interdisent de parler d'autre chose, et cherchent donc à faire preuve de créativité, à divertir la population, mais avec l'événement du moment, et rien d'autre. Et comme on ne peut pas en rire, alors on en pleure, et les programmateurs déclinent toutes les méthodes pour émouvoir, faire pleurer, créer de l'admiration pour les sauveteurs, et, au final, créer un sentiment d'émotion intime, de solidarité, de communion dans l'épreuve que toute la nation doit partager.
Regarder la télévision, c'est donc entrer dans une réunion de famille, une cérémonie communautaire extrêmement intime, où les gens, même en uniforme, pleurent, où le public s'essuient les yeux, où les orateurs se succèdent, soit pour chanter, soit pour témoigner, soit pour relayer la parole émotive qui parcourt le pays. Le pays traverse une phase de sentimentalisme accru, que l'on pouvait percevoir avant les événements, mais qui arrive à un point d'incandescence. Tout peut faire pleurer, et on cherche tous les moyens pour s'émouvoir, car c'est le seul sentiment qu'on s'autorise. On ne recule devant rien, pas même devant les enfants morts dans les écoles mal construites du Sichuan : on écrit des poèmes où l'enfant est séparé de sa mère :
"Mon petit, vite !
Serre fort la main de ta maman !
La route du paradis
Est trop sombre !
Maman a peur que
Tu te cognes la tête.
Vite !
Serre fort la main de ta maman !
Pour que ta maman puisse t'accompagner.
Maman !
J'ai peur !
La route du paradis
Est trop sombre !
Je ne vois pas ta main…
Depuis que
Les murs écroulés
Ont emporté la lumière du soleil,
Je ne peux plus voir
Ton regard plein de tendresse…
(Traduction, Courrier International)
Un sentimentalisme que je crois n'avoir jamais vu se déverser avec aussi peu de retenue. Tong elle-même s'interroge sur l'évolution d'une chaîne de télé où les présentateurs ne font plus de séparation entre leurs émotions intimes et leur travail public. Les Chinois qu'on aime imaginer pleins de maîtrise, de modestie, de mystère, que l'on croit se tenir sur leur quant-à-soi, repliés dans un intérieur inaccessible, les Chinois du XXIe siècle expriment leurs émotions sur des plateaux télé. Ils frissonnent à l'unisson dans une grande émotion qui traverse et étreint tout le pays, ils s'en nourrissent et la nourrissent de leurs larmes.
Alors pour le voyageur, regarder cela, c'est comme faire du voyeurisme. Il s'éloigne sur la pointe des pieds et essaye de ne pas déranger.