Je précise : au premier étage! Si vous entrez au Platane sans savoir, on ne vous demandera rien et on vous installera à une table du rez-de-chaussée, et on vous servira de la nourriture excellente aussi, mais vous sortirez un peu déçu ; vous direz que cela ne mérite pas la mention de "meilleur restaurant de Shanghai". Au rez-de-chaussée, il s'agit d'une brasserie de très bonne qualité, mais d'une brasserie, et vous n'êtes pas prêt à vider votre bourse pour un steack frites.
Pour aller à l'étage, où se situe le restaurant gastronomique, il faut le demander, il faut un peu forcer la main à un personnel qui a reçu des directives strictes : ne pas en faire un hall de gare, limiter le plus possible le nombre de clients pour qu'ils puissent être vraiment pris en charge.
On peut les comprendre. Les prix sont rédhibitoires et beaucoup de gens entreraient et sortiraient au bout de cinq minutes, après colloques gênés entre convives. Deux menus, l'un à 750 RMB, et l'autre à 1000. Le premier vin rouge (un très bon Figeac) est à 650 RMB. L'addition finale monte facilement à 1500RMB par personne, ce qui est un vrai scandale, je suis d'accord, mais là n'est pas la question. La question est que la bouffe est merveilleuse, le service excellent, la déco étonnante, que le dîner dure trois ou quatre heures sans possibilité de s'emmerder, et qu'on se retrouver vite seuls attablés dans ce petit espace confortable. La gastronomie, il vaut mieux que cela passe par le bouche à oreille, la gastronomie est une affaire de connaisseurs. La plupart des clients qui étaient en bas, dans la brasserie, étaient plus riches que nous : la sélection ne se fait pas uniquement par le portefeuille, mais par la volonté, par la connaissance, la pugnacité.
Entouré d'un papier peint qui fait penser aux chinoiseries du XVIIe siècle, d'amples motifs de branches d'arbres et d'oiseaux, le groupe d'amis tartine son pain avec du beurre de truffe, en attendant de commander. Je recommande le menu à 750 yuan, qui comporte trois ou quatre entrées : une Coquille Saint-Jacques, du foie gras préparé de trois façons différentes, sous forme de mousse (avec une confiture d'abricot que j'ai trouvée géniale, enfin l'idée était géniale), sous forme poêlée et sous forme de terrine (avec de l'anguille), puis une salade de carbe avec d'autres choses légères qui faisaient une bonne suite au foie gras.
Puis est venu le loup, ou le bar, je ne sais pas ce que l'on dit le plus habituellement. Le terme anglais de Seabass est plus courant car c'est un poisson qu'on mange plus souvent dans les bons restaurants anglo-saxons, dans le monde entier. C'est donc un poisson que les restaurants français proposent lorsque le chef n'est pas français, comme c'est le cas du Platane. Ici, nous avions du "black seabass", un bar noir qui se distingue du bar normal en ceci qu'il est plus petit, plus sombre et qu'il est meilleur au goût, si l'on en croit le serveur à qui nous avons posé la question. Le poisson avait un petit goût de brûlé que j'ai beaucoup apprécié. Le chef jouait sur le goût du brûlé, une subtile impression qui se retrouvait dans la Saint-Jacques et le foie gras poêlé, qui réhaussait la combinaison des sauces et des aliments principaux. C'est à des détails comme ceux-là, le jeu risqué du brûlé, que l'on reconnaît l'artiste parmi les chefs.
Puis j'ai eu une absence. Je n'avais presque pas dormi la veille au soir, et ma journée avait été bien remplie, arrivé au fromage et à la litanie des plats sucrés (fruits, sorbets, desserts, niama niama au chocolat pour accompagner le café ou je ne sais quoi), je piquais du nez, et il n'est pas jusqu'à ma voisine de table qui ne me dit que mes yeux étaient rouges. J'allais m'assoupir sur le canapé qui occupait une alcôve, histoire de libérer quelques rêves qui cognaient contre ma tête. Je revenais à table, réveillé par Grégoire pour le(s) dessert(s), tous meilleurs les uns que les autres.
Nous sommes sortis de là impressionnés sur tous les points et à tous les niveaux. De toutes les tables que nous avons essayées, et pour ce qui concerne la cuisine française, c'est le Platane qui remporte la palme, sans aucune hésitation, il domine Shanghai de la tête et des épaules.
Le Platane, au croisement de Huangpi lu et de Xingye lu, à un bout de Xintiandi, au bord du lac.