Les études françaises sont incroyablement dispersées dans une ville comme Shanghai. Entre les départements de langues universitaires, l'Alliance française, le lycée français, le consulat, les initiatives privées, de nombreux événements culturels sont organisés sans coordination.
Si seulement on avait pu, après plus de 150 ans de présence française en Chine, concentré nos efforts sur un lieu de recherche et de culture, nous jouirions d'un instrument magnifique. Malgré les milliers de livres offerts par le consulat, on se retrouve à Shanghai sans lieu de référence vraiment convaincant.
On aurait pu établir un beau centre culturel digne de ce nom, doté d'une énorme bibliothèque de 500 000 documents. Que l'on y pense une seconde : où sont allés tous les livres que possédaient les Francais du XIXème siècle ? Pendant toute la période de la concession française, que sont devenus tous les documents accumulés par la population francophone de ces années coloniales ? Les récits de voyage, les travaux scientifiques, les lettres, les archives ? Une partie des livres de cette époque se trouve chez moi, à l'université de Fudan. Pourquoi là ? Parce qu'il s'agit des livres apportés par les jésuites qui ont fondé l'université "Aurore", ancêtre de Fudan. Inutile de dire que personne n'y a accès, à ces trésors, pas même moi (je vais quand même tâcher de pénétrer dans la réserve, je le demanderai comme une faveur exceptionnelle.) Une autre partie de ces livres et journaux publiés en français à Shanghai peuvent être lus à la bibliothèque de Zi Ka Wei, dans le centre ville.
Ah! je vois d'ici ma belle bibliothèque, tellement riche que les Francophones s'y reposeraient par milliers chaque semaine, et des dizaines de milliers d'intellectuels chinois, attirés par ce lieu de culture, y viendraient aussi pratiquer leur francais, trouver compagnes et compagnons, regarder des films et écouter des conférences.
Si tous les efforts avaient été regroupés, financièrement et intellectuellement parlant (je ne demande pas un centime de plus que ce qui est depensé chaque année), la dynamique aurait été assez forte pour créer un centre de sinologie international et pour procéder à des publications. Malheureusement, comme je le dis au début de ce billet, tout est dispersé et disséminé, chaque administration veut inventer son petit centre et tout se perd dans l'immensité de Shanghai.
Exemple assez cocasse de cette dispersion : il existe un "Centre Franco-Chinois", inauguré par Jacques Chirac dans les années 2000, situé dans une université qui ne possède pas de département de francais! Quand on y organise quelque chose, personne n'est au courant. Dimanche dernier, une belle "Journée de la philosophie française" y était organisée. Denis Kambouchner, le grand spécialiste de Descartes, a fait une conférence sur Derrida, et deux autres professeurs de Paris I ont parlé de Merleau-Ponty et de Foucault. Combien de Francais dans la salle ? Trois. Une fille qui parlait admirablement le chinois, le professeur de philosophie du lycée français de Shanghai, et votre serviteur. Personne d'autre n'était au courant, voilà la triste vérité. Et si un de mes étudiants n'était pas venu me prévenir, je serais moi aussi resté dans l'ignorance de cette belle rencontre philosophique.
La bibliothèque de l'Alliance française, enfin, est sympathique, mais elle est petite et récente. Ses livres ne datent que de quelques dizaines d'années.
Il faudrait une action d'envergure pour regrouper tout cela. C'est le paradoxe de l'administration française. Elle est centralisatrice, mais elle semble incapable de centraliser ce qui mérite vraiment de l'être.