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26 février 2007 1 26 /02 /février /2007 04:13

 



Il est des journées blanches, blanches, blanches. Des journées où l’on ne fait rien, où l’on n’a envie de rien, où l’on ne manque de rien. Où l’on ne s’occupe de personne, où l’on ne pense à personne. On a une légère velléité de sortir, pour prendre l’air, mais le temps de s’ébrouer, il est déjà trop tard. On se demande si l’on ne va pas envoyer un texte à un copain pour boire un verre, mais l’idée reste en suspens et ne sortira pas du monde des idées.

Le luxe absolu. Le luxe dans la précarité.

J’ai passé une telle journée à écouter France Culture. Bob Dylan, Comment pousser les bords du monde. Un feuilleton en quinze épisodes écrit et dit par l’écrivain François Bon. Une biographie qui ne raconte pas simplement la vie de Dylan, mais qui essaie de dire ce qui, dans les chansons de Dylan, est si important pour lui et pour nous. « Pourquoi il nous importe », écrit-il. Ce sont surtout des créations poétiques, où François Bon se laisse inspirer, aspirer, par les chansons, les textes, les mensonges, les postures, les ratés, les pannes, les coups de génie du chanteur.

Quinze émissions de 20 minutes chacune. On peut les écouter sur le site internet de la station de radio. Je leur ai consacré une journée. Je passais de France Culture à ma guitare, à d’autres sites web pour lire les paroles de telle ou telle chanson, à ma guitare encore, puis à France Culture. Une journée blanche pour Bob Dylan.

François Bon s’est lancé dans ce travail d’écriture pour le quatorzième épisode. C’est l’épisode à écouter s’il fallait en choisir un. Il se lance dans l’analyse de ce qui est à ses yeux le « sommet » de l’art du chanteur : Ballad Of A Thin Man. Références à Rimbaud et à Kafka. Bon dit : « Après quarante ans, cette chanson fout toujours la frousse. »

Je n’avais jamais fait attention aux paroles, même à l’époque où j’écoutais de la musique. Mais là, en tendant l’oreille, voici ce que je crus comprendre :

Tu entres dans la pièce

 

Un stylo à la main

 

Tu vois quelqu’un nu

 

Et tu dis « Qui est cet homme ? »

 

(…)

 

 Quelqu’un dit « C’est à lui »

 

Toi tu dis « Qu’est-ce qui est à moi »

 

Il dit  « Qu’est-ce que c’est, ‘moi’ ? »

 

Tu te dis « Oh putain, suis-je donc si seul ? »

 

[Refrain]

 

Parce que quelque chose est en train de se passer

 

Mais tu ne sais pas ce que c’est

 

N’est-ce pas, Mister Jones ?

 

 

 

Avec la musique et les paroles anglaises, ça foutait en effet la trouille. Cela me ramenait au sentiment angoissant, proche de la panique, de l’adolescent qui perd pied, qui se sent seul au monde même en présence de quelqu’un.  

Puis à la lecture du texte, je me suis aperçu de mon erreur. Voici le texte original de la deuxième strophe :

You raise up your head
And you ask, "Is this where it is?"
And somebody points to you and says "It's his"
And you say, "What's mine?"
And somebody else says, "Where what is?"
And you say, "Oh my God
Am I here all alone?"

 

Because something is happening here
But you don't know what it is
Do you, Mister Jones?

 

 

Alors François Bon parle de Kafka. C’est évident que Kafka inspire le jeune Américain pour cette chanson (à tel point, d’ailleurs, qu’il l’éclipse, ceci dit sans rien ôter de ma vieille admiration pour le chanteur.) En revanche, la prose de François Bon n’éclipse pas les vers de Bob Dylan, bien au contraire. Il le défend au point de lui prêter du génie, de le mettre au rang de Rimbaud et, même, de le présenter comme l’homme qui, loin de suivre et d’imiter les poète de la Beat Generation, réalise et achève leurs plus hautes intuitions. A mon avis, il va trop loin, mais j’aime qu’on dépasse la mesure dans l’enthousiasme.

Le plus intéressant, le plus fascinant, est sans doute l’histoire de « la panne ». La plupart de sa vie, Dylan ne fait rien de bien. A 20 ans, il n’a pas écrit une chanson. A 22 ans, il connaît la célébrité et révolutionne la chanson. A 25 ans, il a écrit ses plus belles chansons et n’a plus rien à dire. Il passe des journées blanches.

C’est vraiment un destin à écouter un jour de vide et de blancheur.

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22 février 2007 4 22 /02 /février /2007 04:39

Vous êtes chez vous, un soir. Vous regardez un DVD ou vous lisez quelque chose et soudain, vous sursautez sous le coup d’une explosion juste à vos fenêtres. Autour du nouvel an chinois, on n’y coupe pas. « Leur amour des pétards et des détonations », écrivait déjà Henri Michaux dans les années trente. Cet amour s’est transformé en une pratique obsessionnelle et marquée par la mass production. J’habite un quartier calme le reste de l’année, mais chaque nuit, je me sens encerclé de bombardements incessants. Des jours durant, la nuit surtout, le vacarme reprend et me rend fébrile, nerveux. Comme en temps de guerre.

C’est curieux, tous ces feux d’artifice, ces pétards qui explosent de partout. La nuit, dans les rues de Shanghai, des individus lancent des explosifs de toutes tailles, mais aucune espèce de joie, aucune communion, aucune fête n’est liée à ces détonations. Quelqu’un allume la mèche, et les gens continuent leur vie à côté.

Le gouvernement avait interdit l’usage des pétards et des feux il y a quelques années. Cette année, il est revenu sur son interdiction, et la population en profite pour se lancer dans une surenchère étonnante. A Hong Kong, à Taiwan, cette pratique est accompagnée d’une danse de dragon, d’une réunion aux temples, les bruits conservent encore leur sens prophylactique : ils font peur aux démons et les éloignent. Là-bas, « faire du bruit ensemble » continue de créer du lien social, comme disent les politologues.

Ici, sur le continent, s’il y a sans doute une partie de la population qui croit encore aux démons, généralement, les gens produisent un boucan de tous les diables pour d’autres raisons, plus obscures. C’est peut-être l’amour du bruit, peut-être l’envie de montrer aux voisins qu’on a dépensé une fortune en feux d’artifice. C’est peut-être l’expression maladroite et retentissante d’un désir de grandeur, de gloire, de superbe. 

 

 

 

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19 décembre 2006 2 19 /12 /décembre /2006 16:04

 

Les Français qui habitent en Chine rentrent chez eux pour les fêtes. Sauf moi, et quelques autres, qui n’ont pas de vacances. Je suis allé à un déjeuner d’adieu chez des copains sur le point de rentrer chez eux. Ils avaient des instruments de musique, guitares, basse, percussions. Nous avons fait de la musique de salon, c’était réjouissant pour nous. Pour les voisins, je ne sais pas.

 

Mes amis ont l’habitude de répéter ensemble, donc quand ils m’ont mis une guitare entre les mains, je me sentais porté par leur savoir faire, leur entente. C’est merveilleux la musique de groupe. Sur un morceau, vous faites une série d’accords simples, en boucle, et par la grâce de l’ensemble, vous vous retrouvez au milieu d’une réalisation harmonieuse, aérienne. Vous vous sentez transporté.

 

Ils ne s’en sont pas rendu compte, mais ils m’ont fait un très beau cadeau de noël en m’accompagnant sur des chansons que je chante habituellement seul, sur des mauvaises guitares. Les solos de Marc (un prénom évocateur pour un fan de Tom Waits comme moi, et des rifs de Marc Ribaut) transfiguraient ma voix. A la moindre de mes inflexions vocales, au moindre changement d’intensités de mes gratouillements, il répondait par les notes qu’il fallait, celles, inespérées, qui donnent du souffle à la chanson. Ce garçon est un maître dans l’improvisation. Le temps d’un après-midi, je me suis cru musicien. Ce n’est pas une mince illusion.

A la nuit tombée, j’ai traversé la ville à vélo en état de lévitation. Arrivé chez moi, j’ai repris ma guitare. J’avais mal aux doigts, ma guitare était moche, ses cordes étaient sales, je n’en sortis qu’un bruit de casseroles, le charme était rompu.

 

 

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12 décembre 2006 2 12 /12 /décembre /2006 15:57

Beaucoup d’activités culturelles, ces temps-ci, pour les francophones. En quelques jours, des conférences de Peeters sur Tintin, de Lauzat sur Bouvier, des concerts, des anniversaires, des danseuses françaises, des bouffes avec des copains, des boîtes de jazz et une chanteuse australienne. Et ce soir, une lecture de L’expulsé.

Un acteur français et une artiste chinoise nous ont fait la lecture. Ce n’est pas désagréable que les langues alternent, même si on comprend mal l’une des deux langues. Ca laisse le temps de faire décanter ce qu’on vient d’entendre, et quand les phrases sont drôles, ça rallonge le rire, ça nous en donne en rab. En l’occurrence, L’expulsé est tellement comique, de bout en bout, tellement pétri de drôlerie, passant d’une scène burlesque à un mot d’esprit, d’un paragraphe d’humour noir à ces questions hilarantes dont l’humour est inexplicable. Quand le narrateur est jeté par terre et qu’on lui envoie son chapeau à la figure, comment qualifier cette sorte de comique : « Comment décrire ce chapeau ? Et pourquoi ? »

 

 

La plupart des choses qui nous font rire, on ne sait pas pourquoi elles nous font rire. C'est très gênant quand on voudrait communiquer notre amour de Beckett à des jeunes gens de bonne volonté qui nous avouent ne pas l'aimer. Comment faire passer ça :

« Mais je ne crois pas exagérer en disant que j’étais dans la force de l’âge, ce qu’on appelle je crois la pleine possession de ses facultés. Ah oui, pour les posséder je les possédais. »

 

Alors, bien sûr, on peut toujours critiquer les comédiens, ils sont toujours en dessous du texte, dans ces cas-là. La phrase que je viens de citer, l’acteur ne l’a pas dite comme il fallait à mon goût, mais peut-on en vouloir à un acteur ? Au final, il ne s’en est pas trop mal tiré. Rendons-lui hommage, ce n’est déjà pas si mal qu’il ait osé s’y coller. Moi, quand je serai vieux, ce serait un de mes souhaits, lire des textes de Beckett dans des bibliothèques publiques, mais il faudra que je travaille beaucoup. Et puis il vaut mieux être vieux, à mon avis. C’est plus beau avec une voix de vieux.

Cela me fait penser à cette phrase… mais il faudrait se le répéter en boucle, le texte entier, et n’en avoir jamais assez. Allez, je vous cite la fin de la nouvelle, rien que pour le plaisir :

 

« L’aube poignait à peine. Je ne savais pas où j’étais. Je pris la direction du levant, au jugé, pour être éclairé au plus tôt. J’aurais voulu un horizon marin, ou désertique. Quand je suis dehors, le matin, je vais à la rencontre du soleil, et le soir, quand je suis dehors, je le suis, et jusque chez les morts. Je ne sais pas pourquoi j’ai raconté cette histoire. J’aurais pu tout aussi bien en raconter une autre. Peut-être qu’une autre fois je pourrai en raconter une autre. Ames vives, vous verrez que cela se ressemble. »

 

 

 

 

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5 décembre 2006 2 05 /12 /décembre /2006 11:53

J’ai découvert la musique de Yann Tiersen il y a des années, à Budapest, chez mon amie Sylvie qui avait un de ses premiers cd. C’était bien avant AméliePoulain. Je dis ça pour faire le connaisseur, parce que dans le domaine du rock, il faut être connaisseur. L’idéal serait que je sache le nom du guitariste qui l’a accompagné sur scène en 1997. Vous avez remarqué, les spécialistes du rock, au lieu d’avoir des idées, ils ont des connaissances factuelles, des noms par dizaines qu’ils sortent tout le temps. Les noms obscurs prennent la place de l’analyse. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Nick Hornby, dans High Fidelity. Le narrateur est impressionné par les amis de sa femme qui discutent sans complexe « et qui ont des opinions. Moi je n’avais pas d’opinion, j’avais des listes. »

Alors, quand j’ai vu Yann Tiersen, la première fois, en Europe, il évoluait plutôt au piano et passait d’un instrument à l’autre, avec une prédilection pour les jouets d’enfants, qui accentuait son image d’adolescent perdu dans son monde. Sa tournée en Chine le voit sous un autre jour. Il joue de la guitare électrique et son groupe ressemble à un groupe de rock classique. On a envie de dire que c’est dommage, que c’était tellement agréable d’imaginer ce timide musicien attentif au son d’une roue de vélo qui tourne, qui enregistre chaque instrument, piste après piste, mixé avec les bruits du quotidien dont il faisait des albums magnifiques.

Mais non, je dois reconnaître que c’était une réussite, son concert rock. Les chansons étaient arrangées différemment et tout sonnait juste. Il a joué sur le bruit à plusieurs reprises, s’inspirant du Neil Young de la grande époque (ça c’est pour les connaisseurs, et pas simplement pour impressionner les filles), le bruit était riche, les spectateurs avaient le temps d’en ressentir les variations, les saturations, les gravités. Finalement, ça donne envie d’aller le voir encore une fois, dans dix ans, pour entendre les mêmes chansons réinventées de fond en comble.

 

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15 novembre 2006 3 15 /11 /novembre /2006 04:10

Cela fait trois jours que je regarde et écoute Les demoiselles de Rochefort. J’avais acheté ce DVD en pensant que ça pourrait servir comme matériel pédagogique, dans un cours sur la Nouvelle vague, par exemple. J’avais dans l’idée que les comédies musicales, et celles de Demy autant que les autres, c’était toujours un peu mortel. Un soir de crève, justement, alors que je me réveillais la gorge aux abois, j’ai mis le DVD pour me remonter le moral, au cas où. Dans ces moments, on fait un peu n’importe quoi, tout est bon pour oublier la fièvre.

Le film m’a enchanté. Les gens qui dansent, d’habitude ça me laisse froid, mais là, dans les rues de Rochefort, il y avait une vraie folie contagieuse, tous ces gens qui sortent de nulle part et font les fous, il y avait une telle légèreté, quelque chose qui me faisait penser à Tati. Et surtout, plus je le regarde, plus je trouve ce film tordant. L’humour est partout, et il est d’une subtilité jubilatoire. Je ne me lasse pas de cette scène où les jumelles, sollicitées par les forains pour faire un numéro de scène, proposent une chanson réaliste aux vieux relents de Fréhel :

« Dans le port de Hambourg

 

Trois marins javanais

 

Parlaient du grand amour

 

Comme si ça existait

 

Comme si pour ce prix-là

 

Les filles de Hambourg

 

Aux marins de Java

 

Offraient le grand amour

 

-         Vous aimez ?

-         C’est sinistre. 

-         Et puis ça a traîné partout ! Les marins, les filles, les bateaux… Y en a marre. »

 

Ou ce dîner hyper chiant où tous les convives parlent en alexandrins pendant la scène entière pour ne dire que des banalités, avec Danièle Darrieux qui souligne à un moment :

« … Ah ! Que ce dîner manque d’attraits

 

Quant à moi, aujourd’hui, réplique Deneuve, je me sens quotidienne. »

 

Moi, je serais prêt à tout pour une femme qui me fait rire. Après la beauté physique, la drôlerie est la plus grande qualité chez les filles, presque une vertu. Je montrerais bien ce film à mes étudiants, mais comment pourraient-ils trouver ça drôle ?

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25 octobre 2006 3 25 /10 /octobre /2006 12:01

Tout autour de la maison, c’est un quartier entier qui date des années vingt trente. Des maisons rénovées pour certaines, des rues réhabilitées en centre culturel, et la plupart des bâtiments en instance de ruines. C’est le charme de Shanghai, le mélange d’art déco et de postmodernisme.

Dans une ruelle résidentielle, je vis des maisons en briques rouges qui me firent immédiatement penser à celle de mes grands-parents, en Normandie. Je m’aperçus alors que c’était peut-être là, dans le village des Andelys, lors de vacances d’été où je me faisais chier comme un rat mort, que, jeune adolescent ou vieil enfant, j’eus mes premières révélations architecturales. Pour la première fois de ma vie, je trouvai des maisons dignes d’être regardées. Je les trouvais belles, surtout celles en colombage de la vieille ville. Celle de mes grands-parents, par exemple, je la trouvais exceptionnelle, même si elle n’était pas en colombage.

Les promenades à vélo vous réservent soudain de ces plongées dans des univers parallèles, de ces remontées dans le temps.

J’arrivai enfin au Parc Lu Xun, par la porte de l’ouest. Une assez grosse rumeur s’entendait devant moi. Y avait-il un concert, un concours ? Au milieu des couples de mariés qui se faisaient photographier, je m’approchai d’une place ombragée ou de nombreux groupes cohabitaient en faisant chacun de la musique. Musique traditionnelle avec une kyrielle de Erhu, musique semi traditionnelle avec des chansons vieux jeu accompagnées de bandes-son, musique de plusieurs sortes et pratiquée avec ferveur et retentissement. Le tout produisait une cacophonie tonitruante, mais parfaitement tolérante, indifférente et, sans vouloir me vanter, en contact direct avec ce que j’appelle le « cri chinois ». Des badauds en grand nombre sont assis sur des bancs et jouissent, le visage sans expression, peut-être un peu fatigués, des rugissements variés qui éclatent autour d’eux.

Je suis allé lire la biographie de Lu Xun de Lin Zhihao, au bord d’une eau croupie, et d’autres groupes de chanteurs retraités se firent entendre. Au-dessus de moi, en haut d’un tertre où est construit le Pavillon commémoratif de Lu Xun, les chanteurs s’étaient pressés en une masse compacte, et vocalisaient dans une communion qui avait tout l’air de dépasser l’amour de la musique.  

Ils pratiquaient la clameur, comme d’autres la gymnastique.

 

 

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