Tout autour de la maison, c’est un quartier entier qui date des années vingt trente. Des maisons rénovées pour certaines, des rues réhabilitées en centre culturel, et la plupart des bâtiments en instance de ruines. C’est le charme de Shanghai, le mélange d’art déco et de postmodernisme.
Dans une ruelle résidentielle, je vis des maisons en briques rouges qui me firent immédiatement penser à celle de mes grands-parents, en Normandie. Je m’aperçus alors que c’était peut-être là, dans le village des Andelys, lors de vacances d’été où je me faisais chier comme un rat mort, que, jeune adolescent ou vieil enfant, j’eus mes premières révélations architecturales. Pour la première fois de ma vie, je trouvai des maisons dignes d’être regardées. Je les trouvais belles, surtout celles en colombage de la vieille ville. Celle de mes grands-parents, par exemple, je la trouvais exceptionnelle, même si elle n’était pas en colombage.
Les promenades à vélo vous réservent soudain de ces plongées dans des univers parallèles, de ces remontées dans le temps.
J’arrivai enfin au Parc Lu Xun, par la porte de l’ouest. Une assez grosse rumeur s’entendait devant moi. Y avait-il un concert, un concours ? Au milieu des couples de mariés qui se faisaient photographier, je m’approchai d’une place ombragée ou de nombreux groupes cohabitaient en faisant chacun de la musique. Musique traditionnelle avec une kyrielle de Erhu, musique semi traditionnelle avec des chansons vieux jeu accompagnées de bandes-son, musique de plusieurs sortes et pratiquée avec ferveur et retentissement. Le tout produisait une cacophonie tonitruante, mais parfaitement tolérante, indifférente et, sans vouloir me vanter, en contact direct avec ce que j’appelle le « cri chinois ». Des badauds en grand nombre sont assis sur des bancs et jouissent, le visage sans expression, peut-être un peu fatigués, des rugissements variés qui éclatent autour d’eux.
Je suis allé lire la biographie de Lu Xun de Lin Zhihao, au bord d’une eau croupie, et d’autres groupes de chanteurs retraités se firent entendre. Au-dessus de moi, en haut d’un tertre où est construit le Pavillon commémoratif de Lu Xun, les chanteurs s’étaient pressés en une masse compacte, et vocalisaient dans une communion qui avait tout l’air de dépasser l’amour de la musique.
Ils pratiquaient la clameur, comme d’autres la gymnastique.