Je rêve d'être un homme d'affaire pour parler business autour d'un repas. Il y a des restaurants qui inspirent les conversations sérieuses, les discussions d'adultes qui manient de gros chiffres et font des plans sur la comète.
Je suis allé déjeuner avec Mademoiselle Dao, journaliste et éditrice d'Oriental Outlook, le magazine d'actualité qui a publié, et sérieusement coupé, mon article sur les bords de l'eau. Sujet hautement controversé, le comportement des chinois au bord de l'eau ne pouvait se passer d'un examen soutenu de la part de la direction de la revue.
Mademoiselle Dao est une charmante Nankinoise qui a passé plusieurs années en Europe et qui a la responsabilité de cette page, « Heading Est », qui donne la parole à un étranger. Elle dit que c'est la première fois qu'un organe de presse chinois le fait. De retour en Chine, elle a travaillé à Pékin puis s'est fait embaucher par ce magazine basé à Shanghai. Elle affirme qu'il s'agit d'un des trois magazines main stream les plus importants de Chine. Main stream, c'est une notion qui revient souvent dans sa conversation, c'est une marque de qualité à ses yeux.
Nous n'avons pas parlé directement des découpages qu'elle a fait subir à mon texte. Je ne voulais pas me plaindre, ni passer pour un emmerdeur. Mais elle m'a expliqué se façon de procéder. Elle demande à l'étranger un article de 1500 mots anglais et doit composer, à partir de cela, un texte chinois d'un tiers plus court. Cela lui donne la latitude qu'elle juge nécessaire pour rendre le texte « publiable ».
A côté de nous, des Américains parlaient business et ne quittaient pas des yeux leur ordinateur portable. Ils mangeaient sans payer la moindre attention à leur sandwich. « Regardez donc ce que vous mangez, bougres d'andouilles ! » Mademoiselle Dao se moquait d'eux, aussi, elle dit qu'au bureau, gens disaient qu'elle s'était européanisée, et qu'elle aussi, il lui fallait des pauses repas véritables. Pour moi, ce n'est pas spécialement européens, c'est humain : manger, c'est un moment important, il faut le respecter un minimum. D'ailleurs, tout le plaisir de parler business, c'est d'avoir de la bonne bouffe. Les businessmen, remarquez bien, ne vont jamais dans des boui-boui.
Nous en sommes venus à faire des projets d'avenir, avec Mademoiselle Dao. Un voyage en France avec des étudiants, l'année prochaine, sponsorisé par des entreprises françaises et couvertes par les médias chinois. On irait à Lyon, on visiterait les musées, guidés par mes amis de là-bas, et on irait regarder un match de l'Olympique lyonnais. Vivent les déjeuners business !