On me demande d’écrire un programme détaillé de tous mes cours à venir. Ce que je compte faire à chaque session jusqu’à la fin de l’année.
Je le fais sans broncher, car je ne suis pas l’ennemi de l’ordre. Sous mes allures bordéliques, je suis quelqu’un de structuré et je sais où je vais avec chacune de mes classes.
Le problème est que l’enseignement n’est pas une question d’ordre et d’organisation. L’administration, là encore, fait fausse route. L’administration ne comprend rien d’autre, en réalité, que son propre fonctionnement. Pour elle, rien n’a de réalité qui ne soit mesurable, prévisible et quantifiable.
Vouloir de toute force lutter contre l’incohérence et le désordre, c’est compréhensible, mais il faut faire attention à ce que cela ne détruise pas l’improvisation, l’inspiration soudaine, la force d’enthousiasme qui peut se dégager d’un cours.
Un professeur n’est pas un technicien qui applique des méthodes. Réduire un professeur à cela, c’est le rêve des formateurs de formateurs, c’est-à-dire des administrateurs. C’est oublier que l’enseignement, c’est d’abord une rencontre physique. Quelque chose de physique, de chimique, de passionnel.
Ce qui se passe entre un professeur et un étudiant, c’est une chose complexe qui ne se réduit pas à l’opération passive et programmée d’un savoir préétabli qui coule, univoque, dans des cerveaux réceptifs. Quand on se souvient d’un prof qu’on a aimé, c’est qu’il nous a apporté quelque chose de spécial, il nous a inspiré, il a fait des choses et il a dit des choses qui ne pouvaient trouver place dans un programme.
Un bon professeur sait créer une atmosphère électrique, un courant entre les étudiants et lui, il réveille quelques étudiants qui voient des choses nouvelles, non pas grâce à lui ni grâce à ses paroles, mais grâce au courant électrique qui les fait penser de manière inattendue.
Un bon cours doit être un peu déstabilisant, surprenant, il peut même être décevant. Souvenons-nous du plus grand professeur de l’histoire, Socrate. Il n’avait aucune bonne parole à diffuser, aucun contenu pédagogique à faire passer, aucun programme à respecter, et ses interlocuteurs étaient parfois énervés de ce qu’il ne leur donnait jamais de réponses appropriées. Décevoir les attentes des gens faisait bien sûr partie intégrante de sa méthode.
Nous retrouvons la même chose avec Confucius. Confucius déçoit constamment ses disciples et il les oblige à penser « à côté de la plaque ». Les étudiants, pour acquérir un savoir de valeur, doivent passer par des stades de perplexité, de doute, de suspens. Si on refuse tout impondérable dans les salles de classe, on fait de l’enseignement un service parmi d’autres et du professeur un administrateur. C’est ce à quoi veut tendre l’administration et tous ceux qui méprisent la pensée.
Bon, je vais leur donner mon programme de l’année, car il ne faut jamais se braquer contre l’administration. Elle est toujours plus forte que vous car elle n’a pas de capacité de dialogue, de compréhension ou d’ouverture à l’autre. En voilà une qui ne déçoit jamais personne.