Dans les rues de Shanghai, le voyageur voit des hommes porter des sacs qui leur donnent un air féminin. C’est que l’homme shanghaien porte le sac de sa femme. Quand la femme arbore un air fier et hautain, le couple donne une image où l’homme est dominé. Mais les dominateurs aussi portent le sac de leur poulette, c’est une mode, un modus vivendi. Une manière, peut-être, de montrer qu’on est un vrai mec.
Dans le reste de la Chine, l’homme shanghaien a la réputation d’être peu masculin. D’ailleurs, les hommes de Shanghai que je connais ne revendiquent pas leur appartenance à la ville. Ils disent qu’ils sont nés dans telle ou telle localité, alors même qu’ils parlent shanghaien entre eux. Les hommes ne sont pas fiers d’être de Shanghai, peut-être à cause de cette réputation. Les femmes chinoises, en revanche, les considèrent comme les meilleurs époux du monde. Le portage du sac dans la rue n’est qu’un exemple. Ils participent aux tâches ménagères, ils donnent leur salaire à leur femme qui gère le foyer, ils sont plus courtois et plus attentionnés que les autres Chinois. J’ai connu plusieurs femmes – vivant à Shanghai mais venant d’autres provinces - soupirer : « Hélas, mon mari vient du nord ! »
Une amie m’a assuré qu’elle ne se marierait qu’avec un Shanghaien. Elle prend son père comme exemple, et lui voit toutes les qualités requises. L’accusation de féminité, elle l’évacue d’un geste de la main : « Mon père est très viril et n’a pas besoin d’être un macho pour le prouver. »
Au moment où j’écris ces lignes, deux de mes étudiants passent devant le café sans me voir. Le garçon porte un sac en skaï et la fille traîne un peu les pieds. Elle a l’air fatigué et elle se plaint. Le garçon lui dit quelque chose qui la fait sourire. Quand ils passent à ma hauteur, mon étudiant continue de parler, et mon étudiante, un sourire las aux lèvres, regarde son petit copain avec des yeux remplis d’amour.