Le monde s’étonne et s’agace de la volonté française de promouvoir sa langue et sa culture. Soit.
Mais allez dans les universités chinoises, et cette défense, cette promotion, paraîtra moins ridicule.
Dans la bibliothèque de langues étrangères, les trois-quarts des livres sont en langue anglaise, et les autres langues (à Fudan : le français, l’allemand, le russe, le japonais et le coréen) se partagent le dernier quart. Si le français se taille la meilleure part de ce quart, c’est surtout pace que les Allemands et les Autrichiens établissent des Centres germaniques, au sein des universités, avec leurs propres bouquins, autogérés et grassement approvisionnés.
Certains auteurs français ne peuvent être lus qu’en anglais, c’est assez dire.
Mais le problème est plus profond. Dans le département de français, un seul professeur est habilité à diriger des thèses de doctorat, et seulement en linguistique. Le département d’anglais en a beaucoup d’autres, dans plusieurs disciplines dont la littérature.
Les Chinois qui veulent étudier les littératures et les pensées étrangères ont donc tout intérêt à choisir l’anglais. Et cela, uniquement parce que l’anglais est devenu l’esperanto international, la langue du commerce.
C’est le paradoxe : une langue parlée de plus en plus, et de plus en plus mal, et pour des raisons extra littéraires, devient le véhicule de la pensée et de la sensibilité occidentales. Qu’on laisse l’anglais aux businessmen, d’accord, mais doit-on voir l’anglais comme seule langue intellectuelle ? Pourtant, la littérature française n’est pas inférieure à l’anglaise.
Et que dire de l’italienne, de l’espagnole ? Un institut de langues et littératures étrangères est-il crédible sans une forte section « romane » ? C’est peut-être à nous de le créer, et d’abord de le vouloir, car les Chinois ont d’autres chats à fouetter.
« Nous », je veux dire les Français. Avec notre prétention à l’universalité, nous sommes peut-être les seuls qui pouvons résister : en nous unissant avec les autres pays francophones, puis avec nos grands voisins latins, nous pouvons encore imposer une présence européenne non anglo-saxonne dans les universités chinoises.