Le public chinois était nombreux et très attentif. Madame Imbert parlait en anglais avec un fort accent français qui dérangeait fort les étudiants, mais ils firent les efforts qu’il fallait.
Elle parlait de l’Encyclopédie, du point de vue de Kant sur cette dernière, des différences entre les Lumières françaises et l’Aufklärung allemande. Elle insistait beaucoup sur le concept de modernité, de la modernité comme processus, et combien Rousseau, dans ses métamorphoses stylistiques, étaient en phase avec ce processus de recherche d’expression.
J’ai la chance, depuis l’année dernière, d’entendre beaucoup de chercheurs français, venus de nos plus grandes institutions. On vient voir les Chinois de Fudan depuis Sciences Po, l’ENS, l’EHESS, et parfois, il m’est arrivé de me mettre à la place de ces Chinois et de penser : « C’est donc ça, l’élite intellectuelle française, dont on nous rebat les oreilles ? » Parfois seulement. La plupart du temps, les conférences étaient de bon niveau. Mais pour la première fois, j’ai ressenti une forme de fierté. En présence de Claude Imbert, je me disais : « Voilà, c’est ça l’université française. » Une petite bonne femme qui se met au niveau de ses étudiants, qui les surestime même un peu (« vous connaissez cela aussi bien que moi ») et qui les tire vers le haut. Un professeur qui est en même temps un penseur et un chercheur. C’est la meilleure méthode d’enseignement qui soit, penser tout haut, partager les résultats et les difficultés d’une recherche, amener par là les étudiants à avoir envie de défricher un terrain plutôt que de répéter des théories déjà énoncées.
Naturellement, au bout d’une heure, tout le monde commençait à décrocher, dans l’assistance. L’horaire est très inconfortable, de 18h30 à 20h30, quand on a une journée de travail dans les pattes, c’est dur de rester concentré. Mais il me prit l’envie de parader, le torse bombé, et d’arborer le sourire modeste et satisfait de celui qui a eu le privilège d’être formé à cette eau-là. Je n’ai pas paradé, je me suis glissé dans l’ascenseur, j’avais bien trop faim.