Comme j'aime la répétition, le bégaiement, la reproduction et la reprise, je vous ressers cette image d'un arbre qui m'émeut et me plaît. Je répéterai des mots que j'ai déjà écrits, avec des variations, car comme dit le Philosophe, il n'y a pas de répétition sans différence.
C'est un arbre qui a l'air d'être mort, avec son tronc vide. Il ne lui reste que l'écorce et on est obligé de le soutenir avec des tuteurs pour qu'il ne s'effondre pas. Et pourtant il vit, il donne tous les ans des fleurs aussi fraîches qu'au début du monde. C'est une belle méditation, une rêverie de botaniste sur la fragilité de la vie, mais aussi sur la vieillesse. Un vieillard n'a plus de force, a tout perdu, mais il peut encore produire les plus jolis fruits.
C'est certainement aussi une méditation qui vient des origines de la pensée chinoise, sur le principe de vie. La sève passe par les côtés, par l'extérieur du tronc, par en dehors de soi. La vie nous traverse et ne nous remplit jamais. L'idée du vide intérieur est fondamentale. Le bambou est apprécié par les sages pour sa souplesse et son vide. Ces arbres évidés montrent combien la monstruosité et la faiblesse, la débilité, peuvent s'accorder avec une joie sans sourire.
Certains Chinois actuels aiment imaginer qu'ils sont harmonieux, que leur tradition recherche l'harmonie, mais c'est de la propagande. Au contraire, l'anormal, le pathologique les intéressent, la monstruosité, la tortuosité, les torsions des pierres et des arbres. Les dédales, les involutions perverses sont au cœur de la tradition culturelle chinoise, et ce sont les jardins qui en sont la plus belle image.
C'est un must des jardins chinois, ces arbres creusés, vidés, soutenus comme des vieillards. Mais quand j'en parle autour de moi, personne n'a de choses définitives à me dire, mes amis chinois et étrangers ne les voient pas comme des créations de jardiniers, mais comme des choses naturelles. Cela me paraît impossible ; ce sont pour moi des Requiem botaniques. Des Vanités de jardin.