Pour préparer la visite de l’écrivain Jean-Noël Pancrazi, j’ai lu un de ses romans, le seul qui fût présent dans tout Shanghai, Tout est passé si vite. Un très beau livre, un art consommé de la longue phrase, des phrases qui durent des pages et des pages et qui ne sont pas, comme souvent, des procédés pour épater. Des phrases qui obligent le lecteur à retenir son souffle, ou à respirer autrement, à la différence de bien des auteurs contemporains qui s’essaient à la longue phrase – je pense entre autres à Fuir de Jean-Philippe Toussaint – et qui ne font qu’ôter les points là où il devrait y en avoir. Dans une phrase de Pancrazi, on a beau chercher, impossible de trouver une pause où mettre un point.
Pour préparer les étudiants à ce style exigent, j’ai lancé trois petits axes d’observation : l’art du portrait, la mondanité dans la littérature et la phrase longue. Finalement, ça tombait bien qu’un écrivain un peu « difficile » vienne parler aux étudiants, c’était l’occasion idéale de se confronter avec des phrases longues et avec des écrivains qu’on n’ose jamais étudier avec les étrangers : Proust, Saint-Simon. Après quelques cours passés sur ces questions-là, j’étais impatient que Pancrazi nous dise de vive voix ce qu’il ressentait lui-même, nous fasse comprendre la nécessité qui le poussait à écrire des phrases impossibles à lire d’une traite.
Mais il n’était pas là pour parler de lui, et les étudiants étaient entassés dans une salle où ils avaient trop chaud. L’écrivain parla de la rentrée littéraire et, petit à petit, les étudiants perdirent le fil, commencèrent à parler entre eux, et n’eurent plus d’énergie pour poser de questions à la fin. De toute façon, on ne leur laissa pas le temps de le faire. Ils sortirent de la salle, sans doute soulagés de pouvoir enfin respirer, tandis que j’étais triste de l’échec. Ce n’était pas la conférence qui fut un échec, c’est simplement qu’il n’y a pas eu d’électricité chez les étudiants, c’était une rencontre ratée entre eux et un auteur rare.