Les Chinois aiment à penser que Shanghai est une ville moderne, comme New York. Les Shanghaiens eux-mêmes ne voient de leur ville que les tours de Pudong, bien qu’ils vivent dans des décors urbains plus modestes. Une femme du coin m’a dit, un jour, comme s’il s’agissait d’une information objective : « Les étrangers préfèrent Shanghai, c’est la ville qui leur est le plus adaptée. »
Qu’ils soient d’ici ou d’ailleurs, les Chinois me disent cela, que les Occidentaux ne peuvent qu’aimer puisque c’est occidentalisé. Mais que justement, nous aimerions rencontrer autre chose que l’Occident quand nous nous déplaçons, voilà qui ne leur paraît pas clair ; voilà qui leur est même un peu suspect. Quand je dis que je n’ai pas besoin de voir l’Europe en Chine puisque je connais déjà l’Europe, je récolte de doux froncements de sourcils.
Alors, à la Shanghaienne mentionnée plus haut, lorsque j’ai suggéré que l’on pouvait préférer Hong Kong à Shanghai (pas moi, n’est-ce pas, mais des touristes étrangers sans vergogne), elle m’a répondu, incrédule : « Mais ces deux villes sont tellement similaires… » Erreur ! Hong Kong et Shanghai sont très différentes. J’écrirai bientôt un billet pour les comparer, mais ici je voudrais simplement rappeler que le charme de Shanghai réside dans le mélange, la coprésence de réalités urbaines bien distinctes : des vieilles maisons coloniales, des tours ultramodernes, des jardins et des temples chinois, des immeubles art déco, des habitations populaires « lilong », et de ces maisons hybrides encore nombreuses qui sont un patchwork de bois peint, de tuiles, de verre et de béton.
Ceux qui ne voient pas cette diversité, outre qu’ils manquent de la plus élémentaire faculté d’observation, font le lit des promoteurs qui, comme partout ailleurs, cherchent à détruire tout ce qui a plus de trente ans d’âge pour construire d’horribles immeubles à la gloire du kitch international.
Pour préserver le patrimoine d’une ville, il convient peut-être que les habitants voient d'abord la réalité de son patrimoine, et ne se prennent pas pour d'heureux administrés d’un décor de carte postale.