Le Café Rouge, sur le Bund, au bord du fleuve Huangpu, c'est le bar dont tout le monde parle. Enfin un des bars dont les Occidentaux parlent, quand ils n'ont rien d'autre à se dire. Il pourrait coucourir au titre de plus beau bar de Shanghai, s'il existait un tel concours. Comme son nom l'indique, le lieu joue sur la couleur rouge décadent. Ces chaises, ne dirait-on pas qu'elles attendent des postérieurs expérimentés et des idées vénales ? Ce soir-là, il n'y en avait pas. Il y avait même très peu de monde, en début de soirée. J'invitai Flore à y boire un cocktail. Il fallut la convaincre car elle préférait faire des magasins, arguant que c'était les soldes, comme si c'était d'un poids quelconque pour moi. (Quand une femme veut faire des courses avec moi, c'est pour m'aider à trouver des fringues, pas l'inverse, ce qui montre sa gentillesse inusable et son abnégation. Flore m'avait permis d'acheter une pair de jeans noir très bon marché à Nankin. Elle faisait donc partie de mes consultantes fashion et design.)
L'intérêt du bar réside surtout dans la vue qu'il offre, sur une terrasse construite, comme l'ensemble du bâtiment, au début du siècle - le vingtième siècle, évidemment, qui sait si le vingt-et-unième a seulement commencé ?
Tous les blaireaux s'y photographient, moi le premier, sauf que j'ai préféré photographier Flore et faire croire aux clients blasés du bar que je le faisais sous son impulsion.
Un vieux feu d'artifice pétait sur l'autre rive, pour fêter quoi, un dimanche soir plein de brume, Dieu seul le sait. On dira ce qu'on veut, et jouer les mecs cools, les bateaux éclairés de loupiotes qui traînent sur l'eau, on pourrait les regarder des heures : ils vous bercent l'intelligence, ils vous parlent de dessins animés et de mondes parallèles.
Plus tard, j'ai voulu faire poser Flore de manière lascive et provocante, sur une banquette rouge, un porte cigarette au bout des doigts, une rose entre les dents. Voilà ce que j'ai pu obtenir d'elle, cela vous donnera une idée de mes capacités de persuasion.